Le Blog des habitants de Saint-Marcel-lès-Valence
et des territoires environnants

IL Y A 70 ANS, SAINT-MARCEL VIVAIT UNE QUINZAINE TRAGIQUE...(4)

Jeudi 24 Août. - De bon matin, attisé par le vent du Nord malgré les rondes des veilleurs de nuit, l'incendie se rallume au village et dévaste l'habitation de M. Delaine avec une telle rapidité qu'on ne peut songer qu'à préserver  la maison contiguë.
On dit que les Américains sont à Bayanne. On les attend d'un moment à l'autre, ou plus exactement on ne les attend pas et l'on fuit par crainte d'une bataille, car il est entendu que St-Marcel est un point stratégique de première valeur. Certains émigrent si loin qu'ils tombent de Charybe en Scylla...
Ce n'est que le soir, vers 8 heures, qu'apparaissent à l'entrée est du bourg les masses imposantes de trois tanks de 34 tonnes, portant chacun sur leur carapace une vingtaine de fantassins. A vrai dire, le contact de sympathie escompté ne se produit pas entre eux et nous: faut-il l’attribuer à la fatigue de ces hommes et à l'imminence du combat, ou bien à l'impossibilité linguistique d'entrer en conversation? Un drapeau français tiré de son enveloppe et déployé devant eux n'éclaire leurs visages d'aucun reflet particulier. Seules les poires qui leur sont offertes valent aux donateurs un sourire. Evidemment, ils sont moins expansifs que les français, et aussi moins bons amateurs de vin puisqu'ils préfèrent ne boire que de l'eau (telle était du moins la volonté de leur chef).
De la route, nous apercevons à l'entrée des champignonnières un drapeau français agité à bout de bras, tandis que parviennent à nos oreilles les accents de la Marseillaise chantée en chœur par les troglodytes qui saluent, avec l'aube de la délivrance, la certitude prochaine de respirer le grand air ensoleillé et d'oublier dans un bon lit les courbatures des durs sommeils.
Deux Cies de F.F.I. arrivent pour appuyer les chars dans leur attaque contre Valence. Leur médecin (un polonais) vient se restaurer à notre modeste popote, place de l'église, à l'entrée de laquelle flotte un drapeau de la Croix rouge, à quoi répond à l'intérieur une trousse rudimentaire de pharmacie que nous a laissée le Dr Trabaud. Tout à coup on entend les coups de canon et la fusillade : l’accrochage se fait. Bientôt une voiture nous amène un blessé américain qui a reçu vraisemblablement un éclat de pierre dans la gorge. Il parle français, étant petit-fils de Parisiens....Les tanks reviennent: devant la résistance ennemie du quartier du Pan, ils ont renoncé à atteindre Valence ce soir. Ils passent la nuit dans le village, sous les arbres de la grand'route. Les F.F.I. arrivent à leur tour et vont essayer de dormir dans les collines de Surel. Leurs officiers viennent faire honneur à notre popote, où les rejoint, pour préparer l'attaque du lendemain, le chef du détachement américain. Vers 3 heures du matin nous est amené un muletier F.F.I., blessé d'une balle au bras. Arrivant de Montélier après la bataille, il n'avait pas été averti à son passage à St-Marcel du retour de sa Cie et, la croyant près de valence, il s'était avancé avec ses compagnons et leurs voitures jusqu'au... barrage allemand qui, lui, les renseigna à coups de mitraille, tuant un homme et deux mulets.
Vendredi 25 Août. - Vers 5 h 30, les F.F.I. nous apprennent qu'ils se replient sur Alixan. Les Américains sont déjà partis, ayant reçu l'ordre de rejoindre leur unité vers Chabeuil-Crest. Ce départ inopiné nous déçoit. La Marseillaise de la veille nous apparaît prématurée. Avec nos quatre vaillants compagnons restés au village, nous parcourons les rues pour ramasser les munitions laissées ça et là par le maquis et qui pourraient accroître la fureur de nos éventuels visiteurs hitlériens.

Songeant aux difficultés de ravitaillement des habitants des grottes, nous allons chercher le boulanger réfugié aux Chambauds; blessé à la main par l’éclat d'une vitre, il se rend tout de même à nos raisons et vient diriger la panification. Et comme le pétrin mécanique est paralysé par le manque d'électricité, M. P. Miribel accepte de bon cœur de mettre la main  (et même les deux) à la pâte; M. V. Faisant apporte aussi son concours... Le plus difficile, le croiriez-vous, ce fut la vente du pain: il n'y en avait pas pour tous, et tous en voulaient ou presque. Heureusement qu'un moteur à essence, installé le soir même par M. Viossat, permit d'assurer une fabrication normale, et M. Broc, la voie ferrée accordant à ses ouvriers un loisir forcé,  se fit plusieurs jours durant apprenti-boulanger (il n'est jamais trop tard pour bien faire!).
Cet après-midi là, M. Daronat, de Plovier, se voit dans la pénible nécessité d'inhumer lui-même dans son jardin son père qu'un éclat d'obus avait tué deux jours avant.
26-31 Août. - Le Samedi, le village reprend vie, une vie encore bien timide. On vient au pain. A 16 heures, sous une pluie battante, funérailles d'un bébé, Anne-Marie Reynaud, dont le petit cercueil est porté par une remorque de bicyclette.
Le Dimanche, une canonnade violente et continue s'entend du côté de Livron. Un cycliste venant d'Avignon nous apprend que des batteries américaines postées dans les collines avoisinant la grand'route entre Montélimar et Livron pilonnent les convois allemands qui montent. L'après-midi, nous apercevons d'immenses colonnes de fumée qui s'élèvent au-delà de Bayanne. Romans et Bourg-de-Péage viennent d'être réoccupés par les tanks et subissent de terribles représailles; cette nouvelle attriste tous les cœurs et assombrit les visages: nous sommes toujours sous la botte teutonne. La nuit, une patrouille allemande circule dans nos rues...
Lundi 28 Août: journée morne, sans incident notable.
Le 29, dés 8h30, c'est un défilé rapide et ininterrompu de véhicules ennemis de toutes sortes, couverts d'une prudente verdure. Beaucoup de voitures françaises volées, des camions chargés de bicyclettes, de linge, etc... Les occupants sont toujours à inspecter le ciel d'un œil inquiet. C'est que les avions américains sillonnent les airs, mitraillent les convois qui affectionnent l'ombrage des arbres en bordure des routes. La D.C.A. allemande multiplie ses projectiles, mais ne réussit qu'à faire peur aux terriens.Au total, c'est une journée où il fait bon rester à l'abri, mais dont l'impression est toute de joyeuse espérance: efin ils partent!
Le 30 Août, dés 1 heure du matin, commence la rafle des vélos par les occupants d'un camion en panne à Surel (qu'ils brûleront avant de partir). Comme la veille, c'est l'acharnement de l'aviation yankee sur les convois en retraite, mais la D.C.A. ne se fait presque plus entendre. On apprend que les Américains sont arrivés au Péage par la route d'Alixan, mais qu'ils ont trouvé les ponts de l'Isère détruits, sauf celui du barrage de Pizançon. "Il va y avoir une bataille dans le pays" concluent les alarmistes. Vers 16 heures cesse le passage des Vandales. Puissions-nous ne jamais les revoir!
Jeudi 31 Août. - Voici encore un défilé assourdissant de véhicules motorisés qui arrive de la route des Petits-Eynards et roule sur Romans, mais cette fois ce sont les Américains. Aussi la foule dense et enthousiaste couvre-t-elle les trottoirs et multiplie les signes de joyeuse sympathie. Nos Alliés sont plus communicatifs que l'autre jour et distribuent cigarettes et bonbons...
Dés 10 heures 45, malgré des conseils de prudence timorée, les trois couleurs flottent sur le clocher.
Un aviateur yankee, dont l'appareil prend feu, descend en parachute sur le plateau derrière le cimetière: "All right" (tout va bien), dit-il simplement en se posant dans un champ.
Cette journée marque la fin du cauchemar de cette quinzaine, la confiance et la paix reviennent dans les cœurs, et les habitants... dans leurs demeures.
IL Y A 70 ANS, SAINT-MARCEL VIVAIT UNE QUINZAINE TRAGIQUE...(4) IL Y A 70 ANS, SAINT-MARCEL VIVAIT UNE QUINZAINE TRAGIQUE...(4) Reviewed by Coubert on 22.8.14 Rating: 5

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