Le Blog des habitants de Saint-Marcel-lès-Valence
et des territoires environnants

IL Y A 70 ANS, SAINT-MARCEL VIVAIT UNE QUINZAINE TRAGIQUE...(Suite et fin))

Dimanche 10 Septembre. - A 10 heures a eu lieu la Messe d'actions de grâces publiques pour la libération de notre commune et pour la protection divine de nos biens et de nos personnes. L'église était abondamment pavoisée aux couleurs nationales: l'assemblée qui la remplissait avait un caractère inaccoutumé, car elle représentait l'unanimité morale de toute la commune.
Dans son allocution, M. le Curé a esquissé tout d'abord l chronique de la "quinzaine tragique" dont le détail a été relaté plus haut, puis il continue en ces termes:

"Quand on jette un coup d’œil rétrospectif sur cette quinzaine, on ne peut s’empêcher de constater que, si les dégâts et les malheurs n'ont pas été minimes,ils n'ont cependant pas pris les proportions  que l'on pouvait tout d'abord redouter de la part de ces brutes déchainées. Que nos otages du 17 Août soient revenus, sauf un -que les bombardements des 22 et 23 n'aient fait aucune victime parmi nous , - que les représailles à domicile n'aient pas coûté la mort à plusieurs personnes: il y a là,  beaucoup ne se font pas faute de le reconnaître, une protection.
Le 15 Août, nous avions placé le village et ses habitants sous la garde de la Sainte Vierge, mère de Dieu et mère des hommes: nous avions fait le vœu collectif de lui ériger une statue en un lieu public et élevé, en témoignage de notre confiance et de notre gratitude,si Elle nous protégeait, nous et nos biens. Sans doute Dieu n'a pas voulu faire (mais le méritons-nous?) une série de miracles pour dévier la trajectoire des obus ou paralyser la fureur destructrice des soldats d'Hitler; mais la Providence a ses façons d'agir sur les hommes et sur les événements qui, pour être discrètes et souvent secrètes, n'en sont pas moins efficaces et parfois visibles aux âmes de bonne volonté.
Et si de notre petite histoire locale nous élevons nos regards sur l'histoire mondiale de ces cinq dernières années, que voyons-nous? Nous voyons en peuple, à qui certes l'on ne peut refuser le génie de l'organisation et le culte de la discipline, jeter ses formidables colonnes blindées  sur l'Europe occidentale et la soumettre à sa loi de fer.
Ce peuple orgueilleux et dur, conduit par un chef en qui semble s'être incarné le génie du mal, va-t-il donc, comme il le croit, réaliser son vieux rêve d'hégémonie? Certains l'ont pu penser chez nous, qui oubliaient la Providence et sa Justice. Que ce peuple fut finalement victorieux, non, cela n'était pas possible: car il y a, n'est-ce pas, une Justice qui veut que les nations coupables soient punies dés ce monde, ne pouvant l'être dans l'autre. Mais je vous le demande, Messieurs, que peut être cette Justice universelle qui frappe les peuples criminels et fait tourner les événements à leur  confusion sinon  la Justice du Maître du monde, la Justice de Dieu?
On est puni par là où l'on a péché: " Qui se sert de l'épée périra par l'épée", disait le Christ. Ah! Ils voulaient élargir leur espace vital aux dimensions du monde: aujourd'hui ils se resserrent hâtivement dans leurs frontières qui, un jour, seront encore trop étendues pour leur défense.
Ils se disaient la race pure, la race élue: et ils laissent dans toute l'Europe les sanglants vestiges de leur barbarie.
Ils parlaient de leur guerre-éclair: cet éclair a duré 5 ans, et c'est pour eux maintenant la fuite-éclair. 
Leur che, persécuteur sournois de la religion, osait invoquer le Providence et se dire le chef d'une croisade pour  le salut de la civilisation chrétienne: la Providence lui arrache son masque d'hypocrisie et le monde apprendra bientôt le sort cruel qu'ont subi les chrétiens dans le Reich hitlérien.
Le colosse aux pieds d'argile s'effondre: les peuples de l'Europe jusqu'ici asservie, désormais commencent à lever la tête. Nous respirons à nouveau l'air de la liberté. Nous, dis-je, non pas tous, car ils sont encore quelques millions de français qui connaissent les duretés de la captivité en Allemagne: nos prisonniers et nos ouvriers dont le sort nous inquiète plus que jamais. Non, bien que notre sol soit en majeure partie libéré, notre joie n'est pas entière.
Mais cette liberté qui est aujourd'hui la nôtre, qu'allons-nous en faire?Allons-nous, quand sera revenue une certaine aisance, nous ruer à nouveau, comme après 1918, dans les facéties dégradantes du plaisir, dans le relâchement des meurs et des consciences, dans le mépris des valeurs spirituelles? Français, jetons les yeux sur notre Patrie: voyez ces villes et ces villages détruits, ces ponts démolis, ces voies ferrées coupées et sans wagons, ces ports anéantis, cette flotte sabordée, etc... L'heure est au travail, non au plaisir.
Qu'allons nous faire de cette liberté recouvrée? Allons-nous l'employer à ressusciter ces querelles d'avant-guerre qui nous fait tant de mal, ces divisions politiques où chaque parti cherchait son intérêt en oubliant celui de la France? ON m'a cité ce mot affreux d'une femme: "Il nous faut la guerre civile". Cette femme-là et ceux qui parlent comme elle ne savent pas ce qu'ils disent, ce sont des insensés ou des criminels. Eh quoi! il n'y a pas assez de ruines en France, pas assez de cadavres, pas assez de haine dans les cœurs? Et vous souhaiteriez que le sang français coulât encore, versé par des mains françaises! La Patrie exténuée entre à peine en convalescence, et vous voudriez la saigner encore pour la mettre au... tombeau!
Vous dites qu'il faut que justice soit faite.  Certes oui, il faut que justice soit faite, et bien faite, mais contre ceux qui ont fait du mal, contre ceux notamment qui ont les mains tâchées du sang de leurs frères ou qui ont affamé les familles pauvres en pratiquant le marché noir, mais non pas contre ceux qui ne pensent pas comme vous, car nul ne doit être inquiété pour ses idées... Et puis la justice demande pour s'exercer une atmosphère sereine, elle s’accommode mal d'une atmosphère de vengeance et de haine. Chacun sait enfin que la guerre civile est un monstrueux déchainement d'injustices et d’horreurs.
Qu'on parle de Justice contre de vrais coupables, oui, mais qu'on parle aussi de fraternité. Notre pays ne se relèvera que par l'Union des cœurs et les efforts conjugués de tous ses fils. " Tout royaume divisé contre lui-même ne peut subsister", disait le Christ.
Dans le danger commun qui, hier nous menaçait, nous nous sommes découvert, au delà de la diversité de nos propres idées, une âme commune, un cœur fraternel tout disposé à rendre service: vous, les habitants de la campagne, vous avez généreusement accueilli sous votre toit et à votre table les habitants du bourg, et je suis bien sûr que vous étiez heureux, tellement  c'est bon d'être bon. Quand l'incendie ravageait notre village, toutes les personnes disponibles se sont dévouées pour circonscrire les dégâts. Il faut que la chaîne continue, qui unit nos bras et nos cœurs.
Que chacun respecte la liberté de pensée des autres, de ceux qui ne pensent pas comme lui; que chacun fasse son devoir à son poste, se souvenant que si la critique est aisée l'art des difficile. Soyons persuadés avant tout que nous sommes tous frères, puisque nous sommes les fils du Père qui est dans les Cieux. C'est pourquoi je termine par ces supplications:
                                     Français, il faut s’entraider!
                                     Français, il faut s'aimer.
                                                                         Amen.


Après cette allocution, une quête fut faite pour les sinistrés pour les sinistrés nécessiteux de la commune. Grèce à votre générosité et à votre esprit de solidarité, cette collecte atteignit un total de 5.405 fr. Soyez-en félicités et, au nom des bénéficiaires, vivement remerciés.

NOTRE VŒU PAROISSIAL. - Les événements se sont chargés de recommander à l'attention de tous le vœu que la paroisse avait fait le 15 Août d’ériger une statue à la Vierge. Les listes d'adhésion, présentées par quelques dames et jeunes filles à qui nous exprimons ici notre gratitude, ont circulé dans vos foyers. A cette heure elles ont fait retour, portant vos signatures et des nombres dont la somme nous montre combien vous avez à cœur de voir bientôt l'image de notre Maman à tous dominer notre village et nos campagnes, pour attirer vers Elle nos regards et nos prières et nous garder unis comme des frères dans la paix comme nous l'étions dans le danger et le malheur.
Il est peut-être des familles dont l'adhésion n'a pas encore été sollicitée, les travaux de la saison ne permettant pas aux collectrices de passer partout. Que ces familles veuillent donc bien ne pas se croire oubliées, encore oins méprisées: je passerai moi-même chez elles.
L'emplacement de cette statue n'est pas encore définitivement choisi, la maquette non plus. Rien ne presse, car les circonstances ne permettent pas une exécution prochaine de notre vœu: le matériau manque, faute de transports, et les travaux de réfection, plus urgents, oint un droit de priorité.
Mais d'ores et déjà acquittons-nous de notre dette de reconnaissance envers Notre Dame du Bon Secours en lui adressant chaque soir quelques Je vous salue. J'engage vivement les foyers chrétiens à se consacrer à Marie par une petite cérémonie présidée par le prêtre. Une telle consécration comporte la promesse de réciter chaque soir devant l'image de la Vierge la prière en commun et une dizaine de chapelet. Votre Curé se tien à la disposition des familles qui voudraient faire cette consécration à domicile.
REMERCIEMENTS. - Nous ne voulons point clore ces pages sans exprimer notre vive reconnaissance aux personnes qui, au cours de "la quinzaine tragique", ont ravitaillé la popote dont nous étions l'un des trois commensaux, ou qui nous ont une fois ou l'autre fait une place à leur tabel. Nous nous plaisons à reconnaître que les plus généreux ne sont pas toujours les plus fortunés. Nous remercions également les familles qui, lors d nos visites, nous ont remis oeufs et fromages pour les hôtes les plus nécessiteux des champignonnières.
                                                                                           J.M.


Ce numéro du journal paroissial, recopié ici dans son intégralité, nous a été prêté par Melle Langlais, que nous remercions. Les photos sont empruntées à la revue "REGARDS" et au livre "SAINT-MARCEL D'HIER A AUJOURD'HUI, édité pour les 150 ans de la commune de Saint-Marcel.
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2 commentaires:

panaye a dit…

Nos anciens qui l'ont connu disait que l'abbé Morin était un curé de cœur et d'action. Lire ou relire ces témoignages nous montre aussi que son style était vivant, percutant. Les mots vont droit au cœur de chacun. Merci au Blog de nous avoir permis de revivre ce bout d'histoire en publiant ces récits.
Alain Panaye

Florian Jeunot a dit…

Un récit saisissant, merci de l'avoir partagé.

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